mardi 30 juin 2009

Le pouvoir, une fois qu’on y goutte !

Il y avait eu dans les temps les plus proches de nous un vieux roi. Il avait un jeune frère dévoué, fidèle et effacé. Ceux qui le connaissaient savaient que l’essentiel du succès du roi lui était en réalité imputable. Son humilité et sa discrétion faisaient néanmoins dire aux uns et aux autres qu’il serait incapable de « commander ». On aurait dit que l’exercice du pouvoir devait nécessairement corrompre la nature des hommes les plus doux, ou plutôt que les hommes doux dans l’âme étaient forcement inaptes à ce genre d’exercice. Le vieux roi semblait être aimé par tous le pays ; le frère du roi, par tous ceux qui semblaient être les sages du pays. Le vieux roi n’avait qu’un jeune enfant pouvant prétendre au trône ; le frère du roi aimait le fils de son grand frère. On aurait dit qu’il était agi son propre fils, et un fils unique. Par un de ces malheurs qu’on ne prévoit point, le vieux roi mourut quand le jeune prince n’avait encore que l’âge d’oser sortir à la place publique sans même son cache-sexe. Les anciens du royaume tinrent conseil et décidèrent de confier le pays à la sagesse du frère du roi. En même temps, on lui confia la charge du prince héritier en attendant que celui-ci ne devienne capable d’assumer la charge royale.
Le royaume vit passer des décennies dans la quiétude et la paix. Le jeune prince est maintenant devenu un homme, adulte et responsable. Apprécié de tous, sans que personne ne prenne le courage d’aller réclamer le royaume pour lui auprès de son oncle. Fatigué d’attendre, le jeune prince prend son courage à deux mains et vas voir son oncle. « Papa, je crois que je suis devenu adulte maintenant ! » Le vieux ne répond pas, soit qu’il n’a pas bien entendu, soit qu’il n’a pas très bien compris où le jeune prince voulait en venir. En tout cas c’est que le jeune prince s’est dit. Peut être qu’il est en train de régler quelques détails avant de me passer le pouvoir se dit-il. Après tout, il est reconnu pour sa sagesse, et il m’aime tant pour me refuser ce qui me revient de droit. Il ne faut pas que mon impatience mette en péril la quiétude du royaume et la qualité de nos relations.
Il s’arma donc de patience pour quelques années encore. Mais le vieux ne donna aucune suite à son attente.
Alors il part voir deux anciens amis d’enfance du roi. Ils étaient parmi les plus respectés du royaume pour leur sagesse ! Ils leur explique son inquiétude et ceux-ci de le rassurer en promettant d’aller le même jours sonder les intentions du maître actuel du royaume.
Ils trouvèrent le roi qui fut très heureux de revoir ses vieux copains. Après les salutations d’usage, l’un deux s’adressa ainsi au roi : « Même pendant notre enfance, personne n’a jamais douté de ta sagesse, de ta clairvoyance et de ton sens de la justice, ô noble roi. Tes amis d’enfance que nous sommes savent très bien que cela ne changera jamais. C’est pourquoi, dans le souci de faire en sorte que cette image demeure au milieu du peuple, nous osons venir te demander si le roi n’a pas entendu ce que quelques jaloux commencent à raconter. Ils se demander si le jeune prince n’a pas atteint l’âge de quitter la tutelle du roi. C’est sans doute pour jeter le discrédit sur ton règne en te prêtant des intentions qui, nous sommes plus que convaincus, ne peuvent aucunement être les tiennes. Que mon roi agisse donc pour faire taire les grosses gueules fourchues ! »
Le roi remercia l’amitié sincère et l’amour du pays de ces amis qui n’ont point hésiter à le rappeler à l’ordre en lui rappelant son devoir. Il promit de « mettre le jeune prince dans les droits d’un héritier devenu adulte » ; et cela, assura-t-il, dans moins d’une lune et demie. Les vieux s’en allèrent faire leur rapport au prince. Ils lui conseillèrent néanmoins de rester discret. C’est là une qualité indispensable aux rois. Le vieux roi de son côté envoya des émissaires dans tout le royaume pour convier tous ses sujets à de grandes festivités en l’honneur du prince devenu adulte. La fête fut grandiose. Tout le monde s’attendait à la proclamation de la date d’intronisation du nouveau roi. Et, à la fin de la journée, le roi remercia chaleureusement les invités. Il leur donna une nouvelle invitation dans cinq lunes, et là ; surprise, pour le mariage du jeune prince. Le jeune prince était gêné mais ne voulut surtout pas croire à une manœuvre du vieux roi pour garder le pouvoir. Ce sera donc juste après mon mariage, se di-il. Il se réarma encore de la patience. Si Dieu nous accorde la vie, cinq lunes, c’est comme cinq jours. Les cinq lunes et le mariage du prince passèrent, et il passa encore plus de lunes que cela dans l’attente de son trône. Il repris son courage dans les deux mains et s’en va voir le vieux roi.
- Vénérable roi, je crois que je me sens enfin prêt à vous décharger du souci de la conduite des affaires du royaume.
- Fils bien aimé, revient dans sept jours, nous en reparlerons !
Or la femme du roi, était sans contestation possible, la femme qui préparait la meilleure bouillie sucrée du sorgho. Sa renommée en la matière à dépasser les frontières du royaume, et des rois envoyaient chercher cet aliment devenu ainsi rare et légendaire. L’adolescent qui voulait se mettre en valeur devant une fille ou devant ses paires, assurait avoir déjà goûter la bouillie sucrée de la femme du roi. Et c’était, la chose est connue de tous, l’aliment que préférait le plus le jeune prince. Le roi demanda alors à sa femme de préparer la meilleure bouillie sucrée de Sorgho de toute sa vie dans une semaine et d’en mettre dans plusieurs petits gobelets. Le jour arriva ; la femme s’exécuta et le prince arriva.
- Femme amène un gobelet de bouillie à ton fils !
- Tout de suite, mon roi !
Et voila le prince avec un petit gobelet de bouillie. Au début il fut perplexe de voir sa tante, qui pourtant sait très bien combien depuis le bas âge il aimait sa bouillie, lui ramener un si petit gobelet. Puis après avoir goutter :
- Mère, c’est sans doute le meilleur de tout ce que tu as pu me faire goutter. C’est pour cela qu’il y en a si peu, mère ?
- Ramène lui un autre gobelet, renchéri le roi sans donner à sa femme le temps de répondre !
- Merci, père !
Un moment après :
- Mère, c’est bon, j’ai déjà fini le gobelet !
- S’il y en a encore, amène lui un gobelet de plus, dit le roi.
Et conformément aux recommandations du vieux, la femme réponds :
- Il y en a plus que pour mon roi !
- Ramène lui donc mon gobelet ; pourtant, tu sais bien combien il apprécie ta magie de bouillie. Pourquoi donc en faire si peu ?
La femme s’exécute sans répondre.
Au milieu du gobelet, le roi demande
- Il y a un enfant que j’ai envoyé ; peux-tu lui laisser un peu ?
- Oh, j’ai tout fini, il ne reste qu’un peu ! Mère peux-tu lui en trouver un peu ?
- Je verrai répond la femme.
Le roi le regarda vider le gobelet qu’il prétendait avoir déjà fini, puis lui demande :
- C’était comment, cette bouillie ?
- Très bon !
- Tu en veux encore, n’est pas ?
- Certainement, s’il y en a encore !
- Alors mon fils ! Apprends que le pouvoir est exactement comme la bouillie sucrée du Sorgho. Une fois qu’on y goutte, on en veut toujours encore plus. Tu dois maintenant comprendre pourquoi je ne suis pas pressé de te rendre le trône de ton père. Mais je suis déjà assez vieux et mes jours sont presque à leur terme. Laisse moi boire mon dernier gobelet de bouillie car bientôt, tu auras toute la calebasse pour toi seul !

1 commentaire:

  1. Merci Chitou , pour la petite histoire , je me suis régalé enfin de la bouillie sucrée de sorgho. je me dis que tu garde l'original du texte en archives.
    Du courage!!

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